Entretien avec Laëtitia Guédon

Passionnée par les grandes mythes, Laëtitia Guédon a fait appel à l’autrice Claudine Galea pour cette création où l’on retrouve Ulysse à trois épisodes de sa vie, en couple avec l’une des femmes qui aurait fait de lui un héros. Cette création, qui mêle voix parlée et vois chantée – en présence du chœur Unikanti –, la metteuse en scène nous en décrit les soubassements alors qu’elle est en répétition au Théâtre du Vieux-Colombier.

  • TROIS FOIS ULYSSE de Claudine Galea. Mise en scène Laëtitia Guédon, du 3 avril au 8 mai 2024, Théâtre du Vieux-Colombier.

Chantal Hurault. Les mythes, particulièrement l’Iliade et l’Odyssée_, habitent votre travail depuis vos débuts. Qu’est-ce que ces héros ont à nous dire de notre humanité ?_

Laëtitia Guédon. Ce spectacle n’est pas l’adaptation oula restitution théâtrale de tout ou partie de l’épopée homérique ; j’aborde ces textes fondateurs pour interroger nos inconscients collectifs, et chercher à travers celles et ceux que l’on nomme héros ou héroïnes des espaces de révélation. Avec Claudine Galea, nous nous sommes retrouvées dans l’idée de donner un contre-point à la vision répandue que l’on aurait d’Ulysse.
Il est certes un héros d’une grande intelligence mais aussi un guerrier qui, dès son retour à Ithaque, fait un massacre de servantes et de prétendants.
Par ailleurs, notre projet évacue volontairement la présence des dieux : qu’advient-il dès lors qu’on supprime la notion de fatalité ? Ces hommes et ces femmes, placés face à leurs responsabilités – répondant de leurs actes, de leur destin et de leur héritage – nous parlent en écho de la façon dont nos actions peuvent tracer no destinés. Enfin, je désire creuser, notamment par le chant, la part émotionnelle de ces récits. J’ai été marquée, lors de ma dernière relecture de l’Odyssée, par les torrents de larmes versés par ces héros, notamment masculins ; évidemment ils réussissent des prouesses et commettent des massacres, mais ils pleurent aussi…énormément.

C. H. La pièce, découpée en trois parties, aborde la figure d’Ulysse dans une dualité avec trois héroïnes, Hécube, Calypso et Pénélope, chacune liée à une thématique: la violence, la séparation et la solitude.

L. G. Ce sont trois épisodes de sa vie, vus par le prisme de ces trois figures. Ces trois visions d’Ulysse (d’où le titre) le projettent dans des espaces physiques et mentaux, face à ces femmes dont on pourrait penser qu’elles ne rentrent dans l’Histoire qu’à travers leurs rencontres avec lui. Je prétends de mon côté que ce sont les visions, les mots, les présages, les présences de ces femmes qui constituent son grand voyage… et vont peut-être faire de lui cette figure héroïque. L’un des axes principaux est notre rapport au temps, dans la relation à l’autre et à soi-même. Toute relation, longue ou brève, est susceptible de nous plonger à l’endroit du vertige ; chaque relation peut être une épopée en soi.
Le premier duo, avec Hécube et le jeune Ulysse victorieux, se situe à la chute de Troie quand les femmes illustres de la cité ont été remises en trophée aux vainqueurs achéens. J’ai souhaité qu’Hécube apparaisse dans toute la beauté et la puissance de son expérience. Elle le hante, le renvoyant à sa violence.
Puis, nous le retrouvons dans le couple qu’il forme avec la nymphe Calypso, après de longues années de volupté. Ici l’amour inconditionnel fait face à la dépression dans laquelle il semble sombrer, ne sachant plus partir de cette île et de ces bras bienfaisants et protecteurs. Qu’est-ce qui nous pousse à rester ou à quitter l’autre ? Une vie idéale peut-elle combler la béance de ne pas se sentir chez soi ?
Enfin, nous le retrouvons à Ithaque auprès de Pénélope qui à force de l’attendre est restée figée dans sa jeunesse, dans un temps comme… suspendu. Sa parole a peut-être été elle aussi interrompue par ces années de solitude et d’abandon dans son palais. Et lorsqu’elle parle enfin, accompagne-t-elle Ulysse vers la vie ou vers la mort ?

C. H. Vous avez confié le texte de la pièce à Claudine Galea, autrice dont la qualité de la langue offre aux acteurs et aux actrices un champ incroyable en termes de registres de jeu.
L. G. Je conçois le texte de Claudine comme le livret d’un opéra dont nous aurions à reconstituer la partition. C’est un texte-matériau. L’écriture de Claudine Galea est corrosive, incisive et contemporaine, c’est une écriture de l’ici et maintenant .Elle a accepté d’entrer dans le grand poumon lyrique proposé par la tragédie et ces histoires millénaires. Nous nous sommes accordées sur la nécessité, pour les acteurs et les actrices, de plonger dans de grandes traversées de paroles. Les personnages se révèleront grâce à cette plongée physique dans le texte. Il fallait aussi que la pièce rescelle des registres de langues différents pour travailler plusieurs types d’adresse, celles du récit, de l’histoire, du chant, du poème et de l’incarnation pure de ces figures.

C. H. La pièce intègre des chants, interprétés par le chœur Unikanti formé de chanteuses et chanteurs âgés de 18 à 30 ans. Sur quel principe repose l’articulation de la voix chantée et parlée ?

L. G. J’ai la chance de travailler avec des acteurs et actrices d’une grande sensibilité musicale, ce qui était fondamental car la voix parlée et celle chantée par Unikanti devront coexister en permanence.
L’ensemble de la distribution sera sonorisée pour allier l’intimité et la puissance ; la création sonore de
Jérôme Castel et la direction du chœur par Nikola Takov se construisent dans cet objectif. Je trouve touchant que ce soient de jeunes choristes qui portent la tradition du chœur chanté des tragédies grecques, d’autant plus dans ce répertoire profane et sacré remontant jusqu’au XIIe siècle. Ce temps immémorial, leur présence l’inscrit dans la jeunesse de leur regard sur le monde.

C. H. Vous mêlez théâtre et chant au sein d’un métissage esthétique qui se déploiera au sein d’une scénographie symboliquement forte.

L. G. Je parle d’œuvre indisciplinée, terme que je préfère à pluridisciplinaire, en ce sens qu’elle rend poreuses des disciplines dont la rencontre n’est pas toujours évidente sur les plateaux – le théâtre dans sa plus pure tradition et son oralité, mais aussi la vidéo, la musique et la voix dans tous les sens du terme, axe central du spectacle. Les créateurs et créatrices artistiques qui m’accompagnent œuvrent dans une même direction esthétique. Ensemble nous avons un langage commun plus poétique que technique qui permet ce dialogue poreux des disciplines.
Nous avons pensé la scénographie à partir d’une tête monumentale de cheval qui évoquera, selon son positionnement, Troie incendiée, la grotte de Calypso ou le palais de Pénélope, tout en nous projetant dans l’esprit d’Ulysse. La création vidéo de Benoit Lahoz ajoute une profondeur onirique. Cette fenêtre ouverte sur l’imaginaire participe aux effets de métamorphose, des personnages et de la langue.

C. H. Votre théâtre, très ritualisé, tend-il à une forme de transcendance ?

L. G. Le théâtre est pour moi le dernier endroit où l’on a la possibilité de « décoller » du réel. Ce que je recherche dans les mythes – anciens ou plus modernes – c’est l’accès à ce quelque chose « de plus grand que nous ». La place que je donne au rituel participe à ce désir de transcendance. Telle une vanité, le crâne de cheval ancre d’emblée le plateau dans l’espace du rituel et la pièce progresse vers un dépouillement ultime. La grotte de Calypso fera basculer l’espace dans un véritable sanctuaire empreint de mystère. Je suis sensible au rituel qui entoure la mort, certainement parce que j’ai perdu
assez jeune, à des temps distincts, mes parents et les ai enterrés selon des traditions très différentes,
catholique en Martinique pour mon père avec l’exposition du corps, des veillées et des cortèges, et juive pour ma mère où le rituel est plus épuré.
Si je crois à l’importance du rituel dans nos vies, j’aime aussi l’art théâtral pour la façon dont il en est empreint.

C. H. Démarche assez rare, vous signez le maquillage en même temps que la mise en scène.

L. G. Le maquillage peut être aussi un rite de passage, cette autre peau que nous revêtons quand nous nous préparons dans notre quotidien. M’habiller, me maquiller, me coiffer avant de sortir de chez moi et d’affronter le monde extérieur, c’est en quelque sorte revêtir une armure. Ici, il s’agira d’un maquillage naturel, dans l’objectif de travailler la profondeur du regard où la qualité de la peau. Ce geste m’offre une relation singulière avec les acteurs et les actrices, c’est une façon de leur dire que lorsque je pense à eux, je ne suis pas dans la seule projection de ce qu’ils représentent pour moi ; nous travaillons ensemble sur ce qu’ils désirent donner à voir, ce qu’ils veulent sublimer ou dissimuler.

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Entretien réalisé par Chantal Hurault
Responsable de la communication et des publications du Théâtre du Vieux-Colombier

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